Chronique

Vous n’êtes pas écœurées de mourir ?

Macha, Marina, Maxim, Micheline, Mélanie et Magalie. Qu’ont en commun toutes ces femmes dont le prénom commence par un M ? D’abord, ce sont toutes des actrices. Ensuite, chacune d’entre elles a incarné un personnage dans une série québécoise à l’hiver. Mais surtout, elles sont toutes mortes à la fin de la saison.

Entendez que les auteurs de leurs jours les ont tuées d’un gros trait de clavier ou de crayon. Pas vraiment violemment – enfin, pour au moins quatre d’entre elles, mortes d’un cancer ou en accouchant. La cinquième, Magalie Lépine-Blondeau, la blonde de Claude Legault dans 19-2, y a par contre goûté. Au lieu de l’envoyer en voyage, Danielle Dansereau l’a fait sauter dans l’explosion d’une bombe. Boum ! Fini Magalie. Idem pour Mélanie Pilon, la tueuse à gages blonde de 19-2, qui a reçu une balle dans la tête. Bang, bang, Mélanie !

Cela dit, il n’y a pas que les actrices dont le prénom commence par M qui ont été liquidées par leur auteur ces derniers jours. Il y a par exemple Rachel Graton, l’énigmatique blonde de Jean-François Pichette, qui est tombée sous les balles d’un tueur dans un dépanneur dans Nouvelle adresse. Il y a aussi au moins deux autres actrices dont je tairai le nom et le personnage, qui semblent avoir rendu l’âme, l’une d’un coup de pelle et l’autre dans un accident d’auto. Sans oublier une mère mal aimée qui a fini flottant dans une piscine où elle s’est elle-même noyée.

Ce qui m’amène à une question. C’est quoi le gag ? Pourquoi toutes ces morts ? Ou plutôt, pourquoi toutes ces mortes ? Pourquoi toutes ces femmes qu’on tue, qu’on assassine, qu’on tire à bout portant, qu’on trucide, qu’on suicide, à qui on colle un cancer incurable ? Je suis prête à faire une exception pour Nouvelle adresse, où la mort de Macha Grenon était prévue, planifiée, où c’était le sujet même de la série, mais les autres ? Pourquoi cette hécatombe ?

Les auteurs vont répondre que la mort est un ressort dramatique puissant, qui fait évoluer de manière dynamique ceux qui ont la chance de rester en vie. Je comprends le raisonnement, mais j’ai de plus en plus de difficulté à l’accepter. Et cela ne date pas de cette semaine.

Pour tout dire, j’ai atteint un espèce de point de saturation il y a un peu plus d’un mois en regardant la finale de la troisième saison de House of Cards. Si vous n’avez pas vu cette finale, je vous conseille de ne pas lire la suite. Sans entrer dans les détails, disons que la finale de la troisième saison se termine un peu comme commençait la deuxième saison. Par un thème cher à Igor Stravinsky dans le Sacre du printemps : le sacrifice d’une femme ou d’une jeune fille.

Et bien franchement, ce sacrifice-là et tous les autres sacrifices au féminin en fiction, je commence à en avoir marre. Royalement marre. Marre que les auteurs n’aient pas d’autres solutions pour relancer leurs intrigues que de tuer une femme. 

À ce chapitre, les auteurs de télé québécoise ne sont pas les seuls ni les pires. Dans certaines séries américaines, britanniques ou scandinaves, on ne se gêne pas pour découper les femmes en morceaux, pour les pousser sous le métro, pour les enterrer dans le désert et j’en passe. 

La violence contre les personnages féminins est répandue dans la plupart des fictions occidentales. À tel point que l’an passé, la grande actrice Helen Mirren a décidé de dénoncer l’inégalité des sexes en matière de cadavres : quand on fait le décompte des morts à la télé, c’est surtout de mortes qu’il s’agit, a-t-elle déploré.

Je ne suis pas sans savoir que les auteurs sont souverains et devraient avoir l’entière liberté de créer leur propre fiction et de disposer de leurs personnages comme ils l’entendent. Mais sont-ils vraiment libres quand ils tuent toujours d’un côté plus que de l’autre ? En fin de compte, ne succombent-ils pas à la facilité ? Rien de plus facile que de tuer. Ou alors ne suivent-ils pas une mode qui a pris de l’ampleur au cours des 10 dernières années ? 

Car les personnages féminins n’ont pas toujours subi autant de violence à la télé. Le phénomène est relativement récent. En même temps – et c’est là où le bât blesse –, cette violence ne se limite pas à la fiction. Elle se passe tous les jours dans la vraie vie. La violence faite aux femmes tapisse les bulletins d’information. Elle a, de toute évidence, contaminé la fiction.

En 1971, une question gravée dans le bronze d’une murale de Jordi Bonet faisait scandale. « Vous n’êtes pas écœurés de mourir bande de caves », y demandait le poète Claude Péloquin. J’ai envie de poser la question à Macha, Marina, Magalie et leurs amies. Vous n’êtes pas écœurées de vous voir mourir à la télé, les filles ? Moi, en tous les cas, je le suis.

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